Prud’hommes : les sommes de la condamnation sont-elles en brut ou net ?

Quand tu dois ouvrir un dossier prud’hommes, attention aux montants que tu enregistres !

A l’étude, au début, je me demandais toujours si les sommes que l’employeur doit payer au salarié, suite à une condamnation par décision du conseil de prud’hommes, sont indiquées par le juge (on dit même “conseiller” dans cette juridiction) en net ou en brut. Mon ami Marien Malet, commissaire de justice et auteur pour de prestigieuses revues juridiques, nous éclaire par la jurisprudence. A toi de jouer Marien !

Cour de Cassation, Ch. Soc. 16 mai 2018 – N°16-26.448

Condamnations assujetties aux cotisations sociales, faute de précision sont-elles brutes ou nettes ?

Marien MALET

Commissaire de justice

Les condamnations assujetties aux cotisations sociales contenues dans une décision de justice deviennent, quant à leur montant, équivoques quand celle-ci s’abstient de se prononcer sur leur appréciation brute ou nette de cotisations. Les parties peuvent alors s’opposer sur l’interprétation de la décision, le créancier estimant les condamnations prononcées nettes à son profit et le débiteur estimant qu’elles sont prononcées brutes rendant difficile son exécution[1]. Ce fut le cas dans l’espèce dont a eu à connaître la Chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 16 mai 2018.

Dans cette affaire, un salarié obtint d’une cour d’appel la condamnation de son employeur à 70 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour n’a néanmoins rien dit quant à l’imputation éventuelle sur cette somme des cotisations sociales. Une divergence d’interprétation est née entre les parties, le salarié estimant que la condamnation était prononcée nette à son profit et qu’il appartenait donc à son employeur de payer les charges sociales en sus du montant de la condamnation.

Le salarié a alors déposé une requête en interprétation de l’arrêt devant la cour d’appel l’ayant rendu. Interprétant sa décision la cour d’appel confirme l’interprétation du salarié : la condamnation est prononcée nette au profit du salarié. L’employeur doit donc verser en plus de ce montant la CSG-CRDS et les cotisations sociales aux organismes collecteurs.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt interprétatif de la cour d’appel aux visas des articles 461 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil dans sa version alors applicable[2]. La Cour de cassation rappelle que la cour d’appel ne s’est pas prononcée dans son arrêt primitif sur l’imputation des contributions sociales. Elle reproche à la cour d’appel de l’avoir fait dans son second arrêt sous prétexte de l’interpréter. Autrement dit, pour la juridiction suprême la Cour n’a pas interprété sa décision, mais l’a modifiée contrevenant au principe de l’autorité de chose jugée[3].

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Cette cassation apparaît utilement ferme. Par le passé, la Cour de cassation avait autorisé de telles interprétations dès lors que le caractère brut ou net de cotisations sociales pouvait se déduire implicitement de la décision et notamment de ses motifs[4]. Elle a ainsi rejeté un pourvoi contre un arrêt qui « s’est référé au rapprochement de motifs de la précédente décision et des calculs opérés par le salarié, implicitement mais nécessairement relatifs à des montants de salaires et traitements bruts tels qu’ils ressortaient des comptes annuels de la société »[5] et au contraire, cassé un arrêt dès lors « qu’il résultait des motifs de l’arrêt interprétatif, éclairant la portée ambiguë de son dispositif, que des sommes litigieuses devaient être calculées sur la base du salaire moyen brut mensuel du salarié, ce dont il résultait que les sommes allouées […] avaient un caractère brut »[6].

Si sur l’aspect strictement interprétatif la décision commentée ne surprend pas, son intérêt réside insidieusement dans son refus précisément de se prononcer au-delà de cet aspect. De sorte, qu’elle évite de se prononcer sur le caractère brut ou net de cotisations sociales d’une condamnation qui ne se prononce justement pas sur ce point. Il n’est donc pas possible d’affirmer, qu’une condamnation qui ne se prononce pas sur son caractère brut ou net de cotisations sociales, doit être lue comme étant brute ou nette de cotisations.

La Cour de cassation s’est montrée incertaine sur cette question. En 2001, elle estimait que lorsqu’aucune mention du jugement d’un conseil de prud’hommes ne prévoit que des sommes pourraient être déduites des condamnations prononcées, que c’est à bon droit qu’une cour d’appel a décidé que ces condamnations étaient nettes au profit du salarié[7]. Deux ans plus tard, elle décidait pourtant l’inverse, retenant qu’à « défaut de mention expresse, la condamnation à l’indemnité de préavis est formulée en brut »[8].

La décision commentée semble ainsi permettre d’établir la conclusion suivante : une requête en interprétation pourra se prononcer sur le caractère brut ou net des condamnations que si la décision contient déjà dans ses motifs des éléments permettant d’apporter a posteriori cette précision.

Il n’en reste pas moins qu’à ce jour, les parties renvoyées vers la Cour d’appel de Rouen autrement composée, ne sont toujours pas fixées sur le caractère brut ou net de cotisations de la condamnation. Ce qui n’est certainement pas sans conséquence pour le salarié qui attend le paiement des dommages-intérêts qu’il a obtenu[9].

En définitive, face à ces incertitudes les professionnels doivent se sensibiliser aux difficultés pratiques que ces décisions aux condamnations incertaines peuvent poser lors de l’exécution qu’elle soit forcée ou non. Il est alors toujours préférable d’anticiper ces difficultés. Cela passe par la sollicitation dès la demande devant la juridiction qu’elle se prononce sur le caractère net ou brut de cotisations sociales des condamnations qu’elle sera éventuellement amenée à prononcer. L’attribution arbitraire d’un sens permettra aux parties d’y voir plus net et d’éviter la brutalité d’un énième combat.

[1] M. Malet, L’exécution des décisions de justice prud’homales : LexisNexis, 1re éd., 2016

[2] Ses termes ont été repris à l’article 1355 du Code civil

[3] H. Croze, Procédure civile : Technique procédurale civile, LexisNexis, 6e édition, 2017, n°612 ; N. Cayrol, Procédure civile, Dalloz, 2017, n°988

[4] Sur cette question : A. Perdriau, Les dispositifs implicites des jugements : JCP G 1998, I, 3352 ; J. Normand, L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif : Bull. inf. C. Cass. 2005, hors-série n° 3, p. 13.

[5] C. Cass. Soc. 25 avr. 2007, n° 05-44.932

[6] C. Cass. 2e Civ., 7 juillet 2011, n° 10-20.557

[7] C. Cass, Soc., 4 juillet 2001, n° 99-16.696

[8] C. Cass, Soc., 2 avril 2003, n° 01-16.944

[9] Le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, le salarié a vraisemblablement déjà perçu les fonds sur la base de l’arrêt cassé.

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